Réseau des collectivités Territoriales pour une Économie Solidaire

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Publié le 2 février 2019 - mis à jour le 5 février 2019

« Les acteurs de l'ESS sont passés d'un statut d'agents réparateurs à un statut d'agents de développement local » - Mohamed Gnabaly

Mohamed Gnabaly est maire de l'Île-Saint-Denis depuis juillet 2016 et dirigeant-fondateur de la SCIC Novaedia, traiteur solidaire. Il nous présente son regard sur les relations entre acteurs de l'ESS et élus locaux, et sur l'articulation entre Politique de la ville & ESS.

Quel regard portez-vous sur l'évolution ces dernières années des relations entre acteurs de l'ESS et élus locaux ? 

Au niveau du département de la Seine-Saint-Denis, j'observe une alliance très forte entre les élus locaux et la société civile. On peut même dire qu'il y a quasiment une délégation de service public aux acteurs de l'ESS lorsque les communes n'ont pas les moyens de faire en direct.

Au fil des dix dernières années, il y a eu des changements culturels pour les acteurs de l'ESS comme pour les élus locaux. Des changements accélérés par l'évolution des modèles économiques et les réformes de la formation, de l'IAE…qui obligent à travailler différemment. Je constate une émancipation des acteurs de l'ESS devenus plus autonomes, et dans le même temps, une évolution de la perception par les élus locaux, qui ne voient plus les acteurs de l'ESS exclusivement comme des acteurs sociaux, mais qui les considèrent aujourd'hui davantage comme des acteurs économiques.

Les acteurs de l'ESS sont passés d'un statut « d'agents réparateurs » sur les territoires à un statut « d'agents de développement local » générateurs d'emplois et d'innovations.

 

Vous êtes vice-président de l'Association des Maires de France. Comment les enjeux de la Politique de la Ville et de l'ESS sont-ils selon vous pris en compte par l'AMF ?

Les communes rurales et les quartiers en Politique de la ville vivent à certains égards les mêmes difficultés et notamment une désertification des services publics d’État. En tant que maires, nous demandons simplement l'égalité républicaine, le même niveau de service public sur l'ensemble du territoire. Il y a un glissement qui s'opère, la Politique de la ville est censée compléter les politiques de droit commun afin de réparer les fragilités d'un territoire, mais aujourd'hui on se rend compte que la Politique de la ville vient seulement pallier les manques des politiques de droit commun.

Certains territoires ont l'impression que l'on donne beaucoup de moyens aux quartiers en Politique de la ville, alors qu'en fait nous manquons de moyens de droit commun !

La Politique de la ville accorde de plus en plus d'importance au développement économique local, et donc à l'ESS. Elle joue clairement un rôle de facilitateur et d'accélérateur pour les projets d'ESS. Pour autant, son cadre règlementaire n'est pas toujours propice aux innovations, les priorités nationales ne correspondent pas toujours forcément à celles du terrain. Il faudrait davantage se concerter sur ces priorités et sur leurs déclinaisons locales.

 

Quel rôle pour les maires dans le grand débat national en cours ?

Sur l'Ile-Saint-Denis, nous avons lancé les cahiers de doléance dès décembre, dans une posture constructive, avec l'idée de recenser auprès d'une population souvent en colère, qui se sent invisible, pas respectée ni écoutée, leurs propositions et initiatives, que nous enverrons au Gouvernement.

Ces cahiers ont été lancés à l'origine par l'Association des Maires Ruraux de France, mais beaucoup de maires de communes urbaines populaires ont suivi cette démarche, avant le positionnement du Président de la République.

Aujourd'hui, dans le cadre du grand débat national, en tant que maire, je ne souhaite pas être la voix du Gouvernement. Je pense que mon rôle est avant tout de favoriser le débat. Par exemple, j'ai mis à disposition des Gilets Jaunes de ma commune une salle pour organiser un débat.

 

Quels sont les projets en lien avec l'ESS en cours sur le territoire de l'Ile-Saint-Denis ?

A la pointe nord de l'Île-Saint-Denis, le projet Lil'O vise à reconquérir la biodiversité d’une friche industrielle, par sa dépollution, sa végétalisation, et la création de dynamiques locales. Porté par des structures de l'ESS telles que la structure d'insertion par l'activité économique Halage, ce projet allie production de légumes et de fleurs sur des sols pollués, compost alimentaire industrialisé, développement des circuits courts et sensibilisation de la population. Le site sera inauguré au printemps.

Nous souhaitons par ailleurs créer un pôle ESS dédié aux acteurs en émergence, qui bénéficieront de loyers modérés. C'est un projet majeur dans notre stratégie d'attractivité du territoire par l'ESS et la transition écologique, qui fait d'ailleurs écho aux réflexions menées par le RTES sur l'accès au foncier des acteurs de l'ESS. Il s’agit de 3 locaux attenants et regroupables de 380m², dont Plaine Commune est propriétaire, qui se situent au rez-de-chaussée de la centrale de mobilité de l’écoquartier fluvial de L’Île-Saint-Denis. Plaine Commune a lancé l'an dernier un appel à manifestation d'intérêt afin d'identifier des porteurs de projets, qui seront également accompagnés en partie sur les travaux d’aménagement intérieur. Ce projet est  financé grâce à la mobilisation de fonds européens FEDER. Ce pôle devrait ouvrir ses portes en septembre prochain, et nous souhaitons que le PTCE PHARES soit gestionnaire du lieu.

 

Quelles sont vos attentes vis-à-vis du RTES ?

Sur le chantier de l'articulation entre Politique de la ville & ESS, je pense qu'il est intéressant de continuer à creuser les retours d'expériences sur les facteurs de réussite, les difficultés, les similarités et les différences observées entre projets d'ESS implantés en quartiers Politique de la ville.

Un autre sujet qui me semble important à traiter concerne la réflexion à avoir sur l'identité commune des différents acteurs de l'ESS. Quelle place pour les différentes structures et secteurs d'activité dans l'ESS ? Par exemple, aujourd'hui les ESAT et les Entreprises Adaptées ne se considèrent pas vraiment comme membres de l'ESS et vivent un manque de reconnaissance du secteur médico-social et du handicap dans l'ESS. Certains ESAT ont pourtant un poids économique et une présence historique majeurs sur leurs territoires.