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Paroles de campagne : une enquête qui démonte les clichés sur la ruralité et alerte sur le ressentiment de sa population invisibilisée
Publié le 11 juin 2025

Paroles de campagne : une enquête qui démonte les clichés sur la ruralité et alerte sur le ressentiment de sa population invisibilisée

Un tiers des Français vit à la campagne, selon l’INSEE. Pourtant, la ruralité souffre aujourd’hui d’une invisibilisation et d’une vision déformée de sa réalité dans l’espace politique, médiatique et culturel, constatent trois associations engagées pour la ruralité – Bouge ton Coq, InSite et Rura (ex-Chemins d’avenirs).   Ces associations ont décidé, avec le think tank Destin Commun, de donner la parole aux habitants de la ruralité sur leur quotidien et leurs aspirations. L’étude Paroles de Campagne démonte les clichés d’une ruralité figée et passéiste, mais alerte sur l’expérience de relégation des ruraux qui alimente un ressentiment directement corrélé au vote pour le Rassemblement National

À quelques mois des élections municipales, l’étude révèle un potentiel d’apaisement et de convergence par la valorisation d’un modèle rural qui recèle de nombreux atouts dans sa capacité d’innovation et sa vitalité démocratique.

Etude à retrouver sur le site de Destin Commun, ou en téléchargement ici

Agriculture, chasse et traditions : sortir enfin la ruralité de ses clichés 

L'enquête démonte de nombreux clichés sur la ruralité – agricole, conservatrice, figée :

  • Les agriculteurs représentent 2% de la population rurale, et 6% de ses actifs.

  • Seuls 4% des ruraux sont chasseurs. Alors que 3% des urbains disent l’être, En valeur absolue, les citadins pratiquant la chasse sont plus nombreux que les ruraux.

  • Si 80 % des ruraux déclarent apprécier les traditions régionales, la moitié d’entre eux disent ne rien faire de particulier pour les préserver.

  • La préoccupation écologique est équivalente entre ruraux et urbains, même si les pratiques quotidiennes varient en fonction de l’espace et des équipements disponibles localement : si les urbains utilisent moins la voiture et mangent moins de viande, les ruraux compostent davantage leurs déchets, cultivent leur jardin potager et mangent plus de produits de saison.

Le compromis rural : entre expérience douloureuse de la distance et quête de tranquillité

L’étude met en lumière une hiérarchie dans l’expérience de l’éloignement qui relie leurs habitants : d’abord le manque de transports en commun, ensuite le difficile accès aux soins et enfin le manque de commerces de proximité.

Si dans l'enquête 79% des ruraux disent avoir choisi volontairement leur lieu de résidence, ceux-ci sont souvent confrontés à un compromis rural : être contraint à un accès plus difficile aux services, en échange d’un environnement plus apaisé. C’est l’intériorisation de ce compromis qui rend plus difficile l’expression d’un mécontentement ou d’une revendication. La quête de tranquillité est exprimée de manière systématique par les enquêtés, mais chacun y projette un idéal personnel : autonomie, convivialité, sécurité ou isolement choisi.

Les effets politiques du ressentiment : de l’éloignement des services publics au vote pour l’extrême-droite 

L’étude révèle les trois dimensions d’un ressentiment rural marqué :  

  • Politique : 81% des ruraux considèrent que ces dernières années, “les partis politiques ont accordé trop d’attention aux préoccupations des habitants des villes, et pas assez à celles des campagnes”.

  • Economique : 76 % des ruraux interrogés estiment ainsi que « les campagnes donnent plus d’argent à l’État qu’elles n’en reçoivent en retour, car l’argent va aux villes ».

  • Culturel : 81 % des ruraux interrogés estiment que « Les habitants des villes ne comprennent pas ou ne respectent pas le mode de vie des habitants des campagnes ». Et pour 83% d’entre eux, « les médias et les politiques imposent souvent une vision caricaturale de la ruralité depuis la ville ».   

De plus, un tiers des ruraux estime avoir déjà subi une discrimination due à leur origine territoriale et cette proportion monte jusqu’à 68% chez les jeunes.

Le ressentiment est rarement exprimé spontanément mais plutôt vécu comme une frustration rentrée, illustrée par cette expression fréquente chez les enquêtés : « On n’a pas le droit de se plaindre. » Il entraîne aussi un désenchantement vis-à-vis de l’idéal républicain : 51% des ruraux considèrent qu’aucune des valeurs de la devise nationale n’est bien appliquée.

Ce ressentiment a des effets politiques : selon une analyse inédite, l’étude démontre, à facteurs socio-démographiques égaux (âge, sexe, diplôme, profession, précarité, etc.), une corrélation directe entre la distance aux services de proximité, le niveau de ressentiment rural et la probabilité de voter pour le Rassemblement national.

Une confrontation ville / campagne largement démentie par les chiffres

Si l’enquête confirme que les ruraux votent davantage que la moyenne pour le Rassemblement national, elle révèle néanmoins que la réelle fracture électorale n’oppose pas les villes aux campagnes mais plutôt les grands centres urbains (24% de vote Rassemblement national en moyenne) à tous les autres types de territoires (au-dessus de 37%) – ruralité, mais aussi petites villes et périurbain. 

L’étude révèle aussi une grande convergence entre les visions et aspirations des ruraux et celles du reste des Français : 

  • Ruraux comme urbains se disent majoritairement satisfaits de leur propre vie, mais sont inquiets de l’avenir du pays

  • Ils partagent une même vision de la France idéale dans 10 ans : respectueuse de l’environnement, humaine et juste

  • Le clivage entre grandes villes et campagnes n’est identifié comme une fracture majeure que par 23% des ruraux, alors que celui entre riches et pauvres est cité par 59% d’entre eux.

La ruralité, un modèle à investir

Les contraintes de distance et le sens du compromis poussent de nombreux ruraux à mettre en place des formes d’autonomie matérielle, basées sur l’innovation, la sobriété et la débrouille individuelle ou collective. Sur le plan civique et démocratique, les ruraux se démarquent par un fort engagement dans la vie locale et une proximité avec leurs élus locaux. Les ruraux votent ainsi davantage que les urbains (29% d’abstention aux élections législatives de 2024, vs. 33% chez les urbains), et 54% d’entre eux connaissent personnellement leur maire, contre 30% des citadins.

À l’heure des transitions écologiques, de la relocalisation et de la quête d’autonomie, la ruralité apparaît comme un modèle porteur de solutions concrètes. Ce que les ruraux expérimentent depuis longtemps par nécessité — faire avec moins, trouver des réponses efficaces et sur-mesure, coopérer localement — devient une ressource collective. Ainsi, pour 81 % des Français, on devrait davantage s’inspirer de ce qui se passe dans les zones rurales pour résoudre les problèmes à l’échelle nationale. 

Une méthodologie quantitative et qualitative inédite pour lutter contre l’effacement de la ruralité

La méthodologie de l’étude a été conçue pour assurer une représentation la plus fidèle possible des habitants de la ruralité : elle s’appuie sur un panel de 3 532 personnes, dont un sur-échantillon de 1 557 ruraux, identifiés par géo-référencement, ainsi que sur 4 groupes de discussion avec les familles de valeurs les plus représentées en ruralité, selon la typologie de Destin Commun. Le travail inédit réalisé sur les données de cadrage statistique de la ruralité a révélé que les ruraux sont sous représentés dans la plupart des sondages, avec environ 20% de répondants - loin de leur poids réel dans la société française (33%).