Réseau des collectivités Territoriales pour une Économie Sociale et Solidaire

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Publié le 27 juillet 2021 - mis à jour le 26 août 2021

ESS & Covid 19 : impacts, mobilisations et perspectives européennes

Si l’économie française a été lourdement touchée par la crise, l’économie
sociale et solidaire, elle-même ancrée dans une partie du tissu économique le plus
concerné par les restrictions sanitaires — action sociale, activités culturelles, de sports
et de loisirs, éducation populaire, tourisme social et solidaire, etc. —, a été d’autant
plus impactée (A). Qu’il s’agisse du secteur associatif et bénévole (i), du secteur
coopératif (ii) ou, encore plus globalement, de la question de l’emploi directement en
lien avec l’ESS (iii), la crise du Covid-19 aura révélé le réel besoin de soutien de ces
secteurs dans leur projet social et économique, sans toutefois négliger l’engagement
exceptionnel dont les secteurs les plus sinistrés auront fait preuve pour déployer des
actions de solidarité, en s’inscrivant souvent dans une coordination avec les
collectivités territoriales tout au long de la crise (B), et nous poussant par ailleurs à
considérer les perspectives à dimension européenne qui se sont dessinées dans le
même temps (C) — thématiques qui seront donc abordées ci-après.


Que l’activité du secteur associatif français dans son ensemble ait été largement
stoppée, notamment du fait du confinement, n’en fait aucun doute (i). Le degré de
gravité des conséquences économiques n’en est d’ailleurs pas moins certain. En effet,
comme l’a démontré l'enquête menée par le Mouvement Associatif en mars 20201,
plus des deux tiers des associations ont fonctionné à moins de 20% de leur activité
normale pendant la période de confinement. Cette même enquête a mis en exergue que
70% des associations avaient dû suspendre leurs activités habituelles (hors
associations dédiées aux activités essentielles) et que plus de 40% d'entre elles avaient
indiqué s'attendre à une perte de revenus importante dans les 6 mois et à des
problèmes de trésorerie liés au report d'activités ou de financement. Pour conséquence
de cette inactivité forcée, l’un des effets les plus dangereux pour les associations a été
la grande incertitude dans laquelle elles s’étaient inscrites : près d'un tiers des
associations déclaraient alors manquer de visibilité financière. A la problématique
économique s’est ajoutée celle davantage sociale, qui touche à la cohésion des
associations, impliquant conséquemment une perte de liens avec les adhérents et
bénévoles — même si, comme le souligne le rapport, 80% des associations ont déclaré
entretenir les liens par visioconférence.

L’impact de la crise du Covid-19 sur d’autres structures de l’ESS est également
à considérer, à l’image notamment des coopératives françaises et européennes
durement affectées (ii). A ce sujet, le rapport établi par Social Economy Europe est
très parlant2. Il en ressort, de manière très frappante, que les sociétés coopératives des
secteurs du transport, de l’éducation et de la culture — incluant le tourisme —,
semblaient les plus touchées, impliquant que les coopératives ont été impactées
différemment selon le secteur d’activité. Par ailleurs, contre toute attente, certaines
coopératives ont bénéficié d'opportunités commerciales inattendues dues à la
pandémie. Par exemple, certaines coopératives espagnoles du textile, ont rapidement réadapté leur production pour produire des masques et des gants. Néanmoins, d’une manière générale, les chiffres d'affaires ont
été inférieurs à la normale. Le secteur du tourisme, pour des raisons a priori évidentes,
est celui qui a le plus souffert du confinement, tant en France qu’à l’étranger. Si, dans
de très rares cas, le chiffre d'affaires a été un peu plus élevé que la normale — cette
observation a été faite pour 12,5% des coopératives de taille moyenne actives dans les
secteurs social et sanitaire —, toutes les coopératives, de quelque secteur que ce soit,
ont souffert de leurs besoins logistiques, notamment en matière de numérisation.


De ces faits, il découle très logiquement que les emplois liés à l’ESS se sont
vus très affectés par les effets de la crise du Covid-19 (iii). En effet, dans sa Note
d’analyse de la conjoncture de l’emploi dans l’ESS3, ESS France montre que les
secteurs de l’ESS ont perdu, au quatrième trimestre de 2020, près de 1% d’emplois,
par rapport à la même période en 2019, soit une perte de près de 19 000 emplois en un
an, ce qui n’est toutefois pas sans masquer la situation au second trimestre de l’année
2020, durant laquelle, comme le souligne la note d’analyse, l’ESS perdait plus de 52
000 emplois par rapport à juin 2019 (soit - 2,4 %). En l'occurrence, l’emploi associatif
a été fortement menacé. A l’issue du premier confinement de 2020, l'enquête du
Mouvement Associatif, à laquelle il a été premièrement fait référence, nous montre
que 2/3 des associations continuaient d'utiliser des horaires réduits, d’autant que que
33 % d'entre elles craignaient ne pas pouvoir conserver leur effectif salarié en l'état.

Néanmoins, si la crise de la Covid-19 a eu des conséquences considérables sur
les structures de l’ESS et leur développement, les réponses apportées par les
collectivités territoriales françaises ou européennes — en complémentarité, évidemment, du soutien des gouvernements —, en coordination avec les secteurs
sinistrés, ont révélé des facultés d’adaptation et d’efficacité certaines. En effet, en
France, certaines mesures des Conseils régionaux s’inscrivaient indéniablement dans
cette logique — d’ailleurs, très bien explicitées dans un autre article du RTES4. Le
cofinancement du Fonds national de solidarité visant à aider les plus petites
entreprises et associations ayant une activité économique ou encore le soutien au
secteur associatif, avec le versement anticipé des subventions — notamment les fonds
exceptionnels de 5 millions d'euros en lien avec les autres collectivités bretonnes en
Bretagne, et un plan de 5,6 millions d'euros en Bourgogne Franche-Comté : autant
d’éléments qui témoignent de cette mobilisation des collectivités territoriales pour
soutenir les acteurs de l’ESS. Par ailleurs, l’envergure des mesures adoptées par les
Conseils départementaux, intercommunalités et villes sont également à considérer. A
la suite de l’annonce des confinements, le Conseil départemental de Haute-Garonne
avait, par exemple, annoncé des mesures de soutien à l'activité économique avec
notamment la préparation d'un plan de relance à l’issue de la crise qui concernerait les
acteurs de l’ESS, ainsi que la mise en place d’un fonds de soutien exceptionnel pour le
monde associatif. Le Conseil départemental de Seine-Saint-Denis avait, quant à lui,
voté entre-autres un plan de rebond écologique et solidaire permettant aux acteurs du
territoire de déposer des dossiers de soutien financier en septembre 2020. A ce titre,
ce soutien apporté par les collectivités territoriales à l’ESS n’est aucunement
proprement français. Comme indiqué d’ailleurs dans un autre rapport présenté par le
Réseau européen des Villes & Régions de l'Économie sociale, en Belgique, la Région
Bruxelles-Capitale mettait, en 2020, en place une série d’actions à destination de
l’équivalent belge des structures d’insertion par l’activité économique. En accordant
entre autres un assouplissement administratif pour l’obtention du mandat de 5 ans
SIAE ainsi que des aides financières diverses selon les structures concernées, la
Région a répondu à leur appel à l’aide. Néanmoins, au-delà de ces dispositions fortes
pour l’ESS, il reste que l’étude du panorama européen durant la crise du Covid-19 a
mis en évidence une très grande disparité dans les soutiens apportés par les
gouvernements aux structures de l’ESS selon les différents pays européens. En effet,
selon un rapport de Social Economy Europe, le fait que les acteurs de l’ESS d’un pays
européen aient bénéficié d’aides par leur gouvernement (Belgique ou Luxembourg),
contrairement à d’autres qui n’auraient bénéficié d’aucun soutien des pouvoirs publics
(Grèce ou Finlande), s’avère problématique, et serait, selon l’Avise5, la conséquence
d’un manque de définition claire de l’économie sociale et solidaire dans l’ensemble des pays européens, empêchant l’adoption de mesures ciblées et générant des
inégalités d’accès aux dispositifs de soutien mis en place par les gouvernements.


Par ailleurs, bien que dans le besoin conformément aux indications apportées
ci-dessus, les acteurs de l’ESS n’ont pas manqué de répondre présent face à la crise et
ses nécessités. Le cas du projet Résilience, initié par le Haut-Commissariat à
l’inclusion dans l’emploi et à l’engagement des entreprises et coordonné par l’agence,
AgenC, est ainsi très révélateur. Groupement d’ampleur nationale rassemblant des
PME du textile, des entreprises d’insertion et des entreprises adaptées, le projet
Résilience a consisté et consiste toujours à assurer en urgence la fabrication de
plusieurs millions de masques lavables sous 3 semaines sur le territoire français, sur le
modèle d'un prototype agréé par la Direction Générale de l’Armement, et vendus aux
services publics et associations humanitaires. Cette coopération entre les structures de
l’ESS et la Ville de Paris — cette dernière cherchait, dans le cadre du projet
Résilience, à recenser toutes les entreprises capables de concourir à la fabrication de
ces masques dans les plus grands volumes possibles — a donc été considérable. La
crise du Covid-19 et les nombreux confinements qu’elle a impliqués ont également
fait émerger des nécessités, et donc des actions en conséquence, relatifs à l’isolement
et à l’inaccessibilité numérique pour certains. Là encore, de nombreuses structures de
l’ESS ont répondu présente, à l’image du Conseil citoyen d’Evreux qui, avec la
SAIEM AGIRE et le Centre communal d’action sociale de la commune d’Evreux, ont
pris l’initiative de créer une conciergerie sociale et solidaire, permettant notamment
d’imprimer les attestations de déplacements mais aussi les devoirs pour les étudiants,
sans oublier de considérer le prêt d’ordinateurs pour suivre les cours à distance ainsi
que la mobilisation de bénévoles pour faire les courses au service des personnes
vulnérables. A Lyon, les adhérents de Recup et Gamelles, association engagée contre
le gaspillage alimentaire, ont pris l’initiative, en partenariat avec la Ville de Lyon et la
Boutique solidaire du Rhône, de mener des actions collectives de lutte contre la
précarité et la faim, étudiantes en particulier, accentuées par la crise sanitaire — ce
qui, là encore, atteste de l’importance tenue par les acteurs de l’ESS à travers leur
mobilisation dans cette crise, souvent soutenus par les collectivités territoriales, et ce
malgré les difficultés rencontrées. Au-delà des frontières françaises, la coopération
établie entre la Région Lazio, en Italie, et différents acteurs de l’ESS s’est par ailleurs
montrée d’envergure en période de crise, notamment par la signature d’un protocole
d'accord afin de mieux coordonner l'approvisionnement alimentaire des personnes
vulnérables (personnes âgées, personnes ayant un problème de santé, femmes
enceintes, personnes en quarantaine...), réunissant les autorités régionales,
l'association régionale des municipalités, les fédérations d'entreprises, et d’autres
structures de l’ESS, comme les associations des coopératives de consommateurs et les
principales plateformes du tiers secteur notamment.


Ainsi, ces actions et coopérations entre collectivités territoriales et acteurs de
l’ESS ont bénéficié d’une reconnaissance et d’avancées quasi-institutionnelles à
l’échelle européenne pour répondre aux besoins des territoires et de leurs habitants,
particulièrement en temps de crise sanitaire et économique. En effet, le rapport de
Social Economy Europe6, établissant le bilan de l’année 2020, a mis en exergue
l’importance à la fois symbolique, mais aussi très concrète, de la Déclaration de
Tolède adoptée par 18 Etats-membres de l’Union européenne, portant sur «
L'économie sociale et solidaire comme moteur essentiel d'un avenir solidaire et
durable » et appelant à un plan d'action européen fort pour l'économie sociale et à la
stimulation des investissements dans des projets innovants de l'économie sociale par le
biais du nouveau budget de l'UE. A ce titre, le rapport7 du Groupe de travail
inter-agences des Nations Unies sur l’économie sociale et solidaire (UNTFSSE) va
encore plus loin et considère que l’ESS peut justement servir de levier au
renouvellement de la cohésion européenne et s’établir au coeur de sa stratégie de
reconstruction. Encourageant en parallèle le renforcement du multilatéralisme et les
efforts conjoints dans le cadre de l’Agenda 2030, ce rapport propose donc de créer un
nouveau paradigme économique appuyé sur les logiques de l’économie circulaire, de
la sécurité alimentaire, de l’échanges de bonnes pratiques, du développement
économique local, de l’innovation sociale et du bien commun. Ainsi, en annonçant
l’établissement de son plan d’action européen 2021 pour l’économie sociale, la
Commission européenne présagerait-elle peut-être une démarche en ce sens. Cette
ambition des institutions de l’Union européenne d’intégrer l’économie sociale et
solidaire au sein de leur stratégie de relance économique, de stimuler l’investissement
dans les initiatives sociales — dans les domaines tels que la protection sociale et les
services sociaux —, en mettant l’accent sur les entités à but non-lucratif,
s’inscrirait-elle dans la logique prônée par le rapport des Nations Unies ?
 

Article rédigé par Yassine El Maimouni, stagiaire au RTES en juillet 2021