Réseau des collectivités Territoriales pour une Économie Sociale et Solidaire

"Nous devons nous mettre en ordre de marche pour faire avancer l’ESS" Christiane Bouchart, maire adjointe honoraire à la mairie de Lille, présidente du RTES jusqu’en 2019
Publié le 28 mars 2022 - mis à jour le 11 avril 2022

"Nous devons nous mettre en ordre de marche pour faire avancer l’ESS" - Christiane Bouchart, maire adjointe honoraire à Lille, présidente du RTES jusqu’en 2019

Pouvez-vous nous rappeler en quelques mots votre parcours d'élue ?

J’ai été pendant 19 ans élue à la ville de Lille en charge de l’économie sociale et solidaire (ESS), mais également vice-présidente du développement durable à la Métropole Européenne de Lille jusqu’en 2020, une compétence que je croisais systématiquement avec l’ESS. Il y a 20 ans, j’ai participé à la création du RTES en 2002, réseau dont j’ai pris la présidence quelques années après et ce pendant une quinzaine d’années, jusqu’au passage de relais avec Mahel Coppey en octobre 2019. C’est en tant que présidente de la fédération régionale des Cigales que je suis arrivée dans le monde de l’ESS, sans connaître forcément à l’époque toutes les facettes et toutes les dimensions de cette nouvelle économie.

Le RTES s'est intéressé depuis sa création aux questions européennes et internationales. Pour quelles raisons et avec quels enjeux ?

En 2001, de nombreux.ses élu.e.s se sont retrouvé.e.s en charge de l'économie sociale et solidaire, sans trop savoir l’appréhender. C’est dans ce contexte que le RTES a été créé, avec pour objectif de faire réseau, être un centre de ressources, un lieu d'échange de bonnes pratiques et de partage d'expériences, autour par exemple de la co-construction des politiques publiques avec les acteur.rice.s locaux.ales.

Au fil du temps, on s’est aperçu que des élu.e.s n’avaient pas seulement en charge l’ESS mais aussi l’insertion, la culture et pour certain.e.s la coopération internationale. C’est face à ce constat que le RTES s’est rapidement intéressé aux questions européennes et internationales car naturellement, l’ESS prône cette coopération et cette mutualisation pour garantir la protection et la cohésion sociale. De plus, ce modèle est transversal à l’ensemble du champ des politiques publiques, et notamment celui de la coopération décentralisée et de la solidarité internationale. Naturellement, l'engagement des politiques publiques dans la coopération décentralisée ouvrait de nouveaux horizons pour faire avancer les liens directs de solidarité entre les communautés humaines et la démocratie dans les territoires. La guerre actuelle en Ukraine nous montre à quel point ces conditions sont indispensables pour garantir des solutions pérennes, porteuses de justice sociale et capables de satisfaire tous les besoins primaires (accès à l’eau, à l’énergie, aux soins et à l’éducation). 

Cette mobilisation directe des populations est un levier déterminant pour gagner le pari des Objectifs du Développement Durable (ODD) à atteindre d’ici 2030. On sait bien que la stabilité mondiale face au changement climatique est parfois fragile et qu’il est urgent d’agir, d’où l’importance de redistribuer les richesses et cela à une échelle locale, mais aussi nationale et internationale, voire mondiale. Là aussi, il est nécessaire d’avoir des réponses co-construites avec les réseaux d’acteur.rice.s. C’est pourquoi le RTES, très rapidement, a adhéré au Réseau Intercontinental de Promotion de l'ESS (RIPESS). Dès 2005, aux côtés de Henri Arevalo notamment, le RTES a participé à la première rencontre internationale sur la globalisation de la solidarité à Dakar, rencontre qui avait pour thème “Renforcer le pouvoir d’agir des peuples”. Plus tard en 2007, le réseau organisait une rencontre à Lille avec une déclaration pour la reconnaissance de l’ESS, en lien déjà avec l'intergroupe du Parlement européen. Ensuite, il y a eu un enchaînement de plusieurs rencontres : au Luxembourg en 2009, à Strasbourg en 2014, des engagements à Montréal en 2015, la signature avec les gouvernements locaux de Corée en 2017 et la rencontre de Bilbao en 2018. Le RTES est associé depuis de nombreuses années aux actions de réseaux tels que le GSEF, le Fond mondial des villes, l’association internationale des maires francophones, les Amis du Printemps arabe ou encore Unis France. Le RTES est aujourd’hui connu et reconnu par ces réseaux internationaux, preuve de l’importance de faire réseau pour faire reconnaître l'ESS à une grande échelle. 

Un des enjeux aujourd’hui, c'est la reconnaissance de la diversité des acteur.rice.s de l'ESS et de la multitude des clés d’entrée possibles de l'ESS dans les politiques publiques. Même si chaque pays a ses spécificités, on observe des similitudes dans les problématiques rencontrées par les collectivités. Ce sont les échanges et les partages d’expériences qui font que ce travail de lobbying fonctionne, y compris en Europe avec des fonds structurels et d’investissement qui forment de vrais leviers à disposition des territoires et sur lesquels ils doivent absolument s’appuyer.

Le réseau fête ses 20 ans et organise à cette occasion une journée de travail prospectif suivi d'un temps convivial le 4 mai 2022 à Strasbourg. Vous avez participé au séminaire de travail prospectif organisé le 16 février dernier par le RTES. Que retenez-vous de ces grandes mutations présentées ? Quels sont les défis auxquels se confrontera l'ESS demain ?

Avant tout, ce que je trouve toujours très intéressant, c’est que le RTES a toujours eu une longueur d’avance sur ces questions, et a toujours réussi à travailler un certain nombre de réponses à ces problématiques. C’est un vrai point fort du réseau et c’est important d’être en phase avec les évolutions de la société.

Ce séminaire nous a montré encore une fois à quel point l’ESS, en tant que modèle économique alternatif, est capable de faire autrement. C’est un modèle innovant, agile, de mieux en mieux structuré, dynamique, tant au niveau rural que urbain, vecteur d’un autre récit de territoire. L’ESS est capable de répondre au problème d’hybridation des ressources (avec notamment tout le travail qui a été fait sur les monnaies locales), capable d’agir sur les modalités de gestion des services locaux d’intérêt général, mais c’est aussi une démarche innovante sur la posture des collectivités locales (comme on peut le voir dans les SCIC et les CAE).

Le séminaire prospectif du 16 février a bien mis en évidence la question du renouvellement des différentes formes d’engagement, face au désintérêt croissant pour la politique et l'engagement syndical, mais aussi face à la crise des métiers du CARE, à la précarisation du travail…. Tout cela montre qu’il y a une vraie nécessité, une vraie urgence de faire autrement et un besoin de mettre en place des transitions, et que cela ne se fait malheureusement pas assez rapidement. Il faut donc renforcer deux choses : faire alliance avec les pouvoirs publics pour faire avancer les choses et créer un rapport de force pour que l’ESS ait une place plus importante aujourd’hui dans nos politiques publiques.

Selon moi, il faut que les collectivités locales soutiennent de nouvelles formes d’expérimentations, d’initiatives, de démocratisation, de nouvelles réponses autour des questions fondamentales de l’alimentation, de la mobilité, du renouvellement du lien social, des transitions. Ce sont des questions qui font aussi le quotidien des gens comme on peut le voir aujourd’hui avec toutes les questions autour du prix des carburants par exemple, une situation qui vient questionner nos modes de déplacement et comment se déplacer autrement. Nous ne sommes pas encore à  hauteur des enjeux, alors qu’on a de moins en moins de temps pour le faire. Nous devons nous mettre en ordre de marche pour faire avancer l’ESS, son ancrage dans la politique nationale et européenne et sa capacité aussi à répondre rapidement et massivement aux enjeux d’évolution de notre société.