Réseau des collectivités Territoriales pour une Économie Solidaire

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Publié le 3 mars 2021 - mis à jour le 2 août 2022

« Ce mandat doit être celui du changement d'échelle pour l'ESS !» Entretien croisé avec Jeanne Barseghian et Pierre Roth

Jeanne Barseghian, maire de Strasbourg, et Pierre Roth, vice-président au soutien à l'émergence et accompagnement des acteurs de l'ESS à l'Eurométropole de Strasbourg, nous présentent leur ambition pour le développement de l'ESS, sur le territoire strasbourgeois et au niveau européen. De la commande publique aux SIEG en passant par les PTCE, ils nous rappellent l'importance d'un portage politique transversal de la politique d'ESS.

Pouvez-vous nous présenter votre ambition pour le développement de l'ESS à Strasbourg ?

Jeanne Barseghian : « Notre objectif est de doubler le nombre d'emplois dans l'économie sociale et solidaire dans les prochaines années sur notre territoire ! Un objectif très ambitieux qui signifie surtout notre volonté de faire de l'ESS un secteur prépondérant de l'économie locale et notre volonté aussi de changer d'échelle. Strasbourg est historiquement une terre pionnière de l'ESS avec des acteurs emblématiques, un écosystème très riche, des habitudes de travail en coconstruction, … et aujourd'hui, on sent que nous sommes à un tournant. Les nouveaux enjeux liés aux crises sanitaires, économiques, sociales, et écologiques tendent à développer encore plus les solutions portées par les acteurs de l'ESS. Ce mandat doit être celui du changement d'échelle pour l'ESS, à la Ville comme à l'Eurométropole de Strasbourg !  Le fait que Pierre Roth soit le premier vice-président de l'Eurométropole à avoir une délégation entièrement dédiée à l'ESS marque également notre ambition pour l'ESS. »

Pierre Roth : « Nous sommes aujourd'hui à environ 11 % de salariés dans le secteur de l'ESS, et l'idée est d'impulser des politiques publiques encore plus soutenues pour favoriser le développement de l'ESS. L'ESS se développe via les différentes politiques mises en œuvre par les collectivités. C'est donc à nous de donner les bonnes impulsions dans l'ensemble de nos politiques pour que l'ESS y trouve sa place. »

Jeanne Barseghian : « Dans notre programme figure également la mise en place d'un Pacte pour une économie locale durable. Une dynamique que nous avons initié il y a déjà quelques mois et qui a réuni 360 participants, avec une place très active des acteurs de l'ESS dans ces travaux. Dans les engagements de ce nouveau Pacte, on retrouve des éléments importants autour de la formalisation d'expérimentations et d'innovations, l'accès à un emploi pérenne pour tous, le renforcement de la résilience du territoire face aux crises, etc. La résilience d'un territoire passe par sa sobriété et le développement de compétences locales ? dans l'objectif de circulariser l'économie locale. Les acteurs ont croisé les dimensions sociales, écologiques et démocratiques et se sont emparés des valeurs de l'ESS. »

Pierre Roth : «  On opère également ce rapprochement à travers les travaux du Conseil de l'ESS, que nous avons réuni au mois de novembre 2020 pour la première fois dans ce mandat. Ce Conseil de l'ESS, qui rassemble les élu.e.s de l'Eurométropole et de la Ville de Strasbourg, les agents, et les acteurs du territoire, a notamment pour sujet en 2021 le développement des coopérations entre acteurs de l'ESS et acteurs du monde économique traditionnel. »

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Quels sont les principaux leviers d'actions déployés par l'Eurométropole de Strasbourg pour renforcer l'ESS et l'innovation sociale ?

Pierre Roth : « Dans le contexte de crise actuel, les entreprises ont d'abord besoin de marchés, plus que de subventions. Donc le premier levier à activer par les collectivités, c'est celui de la commande publique. Nous travaillons à la réécriture de notre SPASER, avec des commissions de travail sur l'augmentation qualitative des clauses sociales, l'élargissement des clauses environnementales, l'introduction de clauses genrées, le rattachement des clauses aux 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) de l'ONU, et l'élargissement de la gouvernance du SPASER en associant tous les acteurs du territoire.

Un deuxième levier important passe par le développement des Services d’Intérêt Economie Général (SIEG), en démontrant que l’on peut faire de l'économie et de l'intérêt général en même temps. Nous avons actuellement sur le territoire plusieurs SIEG actifs ou en projet :

  • un premier en renouvellement autour de la collecte et le tri de textile, linge, chaussures,

  • un deuxième dans le cadre de notre pôle transfrontalier de coopération économique KaléidoSCOOP,

  • un troisième qui va être présenté au mois de mars, autour d'une recyclerie solidaire appuyée sur quelques chantiers d'insertion,

  • un projet concernant la lutte contre la fracture numérique en massifiant la collecte de matériel informatique mis au rebut sur le territoire,

  • et un projet autour de conciergeries solidaires dans les quartiers de la Politique de la ville.

Dans le cadre de ma feuille de route à la Ville de Strasbourg, nous déployons d'autres leviers en lien avec l'action sociale avec le développement de nouveaux « territoires zéro chômeur longue durée » et dans le soutien aux acteurs de l'insertion par l'activité économique. »

Jeanne Barseghian : «  Un autre levier important passe par la transversalité de cette politique ESS, en cherchant toutes les connexions possibles avec les différents secteurs, en se posant systématiquement la question de la place de l'ESS, des gisements d'emplois possibles,…C'est un réflexe que nous avions déjà sur notre territoire mais que nous devons encore renforcer. »

Pierre Roth : « La transversalité est un travail de longue haleine et qui va s'amplifier, ce n'est pas toujours naturel pour mes collègues de l'Eurométropole de se demander comment faire intervenir l'ESS ».

Qu'attendez-vous d'une relance nationale des PTCE ? Comment peut-elle se traduire sur le territoire strasbourgeois ?

Jeanne Barseghian : « J'avais regretté comme de nombreux élu.e.s l'abandon des PTCE ces dernières années, tout comme j'avais regretté le manque de moyens alloués par les différents ministères aux PTCE lors de leur mise en place. Je me réjouis donc de cette volonté de relancer cette forme de coopération économique que je trouve vraiment intéressante. Ce que j'attends, au-delà du portage politique du Gouvernement, ce sont des moyens qui permettent réellement de soutenir ces dynamiques, pas seulement en phase d'émergence mais aussi pour les pérenniser dans le temps. »

Pierre Roth : « Nous avons eu la chance de recevoir Olivia Grégoire le 12 février dernier, avec qui nous avons évoqué les PTCE, l'idée d'un appel à projets en mars pour accompagner l'émergence de nouveaux PTCE et une deuxième phase pour accompagner les PTCE déjà installés. Je pense que la relance des PTCE est une très bonne idée. Les PTCE sont de très bons outils de coopération. Je regrette simplement que cela se traduise par l'abandon de French Impact sur lequel Strasbourg était fortement engagé autour de la thématique de « territoire apprenant ». Sur Strasbourg, au-delà de notre PTCE KaléidoSCOOP, nous travaillons à la mise en place d'un PTCE sur la filière de rénovation énergétique des bâtiments, en regroupant l'ensemble des acteurs concernés : acteurs de l'ESS, la Chambre des Métiers, la fédération du bâtiment, des promoteurs immobiliers, des écoles d'ingénieurs. L'objectif est d'aller au-delà de la simple mise en place de clauses dans les marchés publics, en développant la cotraitance de marchés (réponse en groupement) avec de grands groupes du bâtiment. Nous avons également en projet un PTCE sur l'agriculture nourricière.

Comment la ville de Strasbourg, capitale européenne de l'ESS, perçoit et agit pour le développement de l'ESS au niveau européen ?

Jeanne Barseghian : « L'Europe est dans l'ADN du territoire strasbourgeois, en tant que capitale européenne de nombreuses institutions dont le Parlement européen, dont on espère que les sessions pourront à nouveau se tenir à Strasbourg très prochainement. Étant à la fois une terre pionnière de l'ESS et une capitale européenne, il nous fallait devenir « capitale européenne de l'ESS », ce qui a été fait en 2019. Nous portons les questions d'ESS au niveau européen depuis plusieurs années, à travers notre participation :

  • à la commission Europe du RTES ;

  • auprès du GECES notamment lors de la rédaction du rapport à la Commission européenne ;

  • dans le cadre de projets européens tels que Boost Inno, qui a réuni 10 villes européennes autour de l'innovation sociale lors du dernier mandat.

Notre enjeu a toujours été de porter la voix de l'ESS et ses valeurs dans les politiques européennes, dans leur diversité, en dépassant les questions de définition de l'ESS dans les différents pays européens, et en insistant sur l'importance de l'échelle territoriale, au-delà des Etats. Nous portons également auprès de l'Europe l'importance d'avoir des financements européens au service des territoires, en montrant notamment la complexité pour les plus petits acteurs de se positionner sur les financements / programmes européens. Cela nous a permis de renforcer l'acculturation des acteurs locaux sur les questions européennes.

Nous continuons aujourd'hui à être actifs. Après avoir accueilli la manifestation européenne sur l'entrepreneuriat social en 2014 et en continuité avec notre participation au Sommet européen de Mannheim [prévu initialement en novembre 2020, reporté aux 26 et 27 mai 2021], nous souhaitons accueillir un grand évènement autour de l'ESS et l'Europe, dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, au premier semestre 2022. »

Pierre Roth : «  Nous sommes en lien avec le Secrétariat d’État d'Olivia Grégoire sur ce projet d'évènement. Nous avons écrit au commissaire européen Nicolas Schmit, pour que cet évènement soit co-construit et co-financé avec la Commission européenne, le CESE, l’État, les collectivités territoriales et les acteurs du territoire. En 2014, Strasbourg avait accueilli plus de 2000 personnes pendant 2 jours, nous voudrions un évènement d'une même ampleur. Nicolas Schmit doit présenter fin 2021 son rapport sur les droits sociaux et sur le développement de l'ESS en Europe. Les éléments de son rapport pourront nourrir le programme de cette rencontre. Au-delà de cet évènement, une cellule de recherche de financements européens, notamment hors fonds structurels, a été mise en place au sein de notre organisation interne, avec une accessibilité aux acteurs du territoire, notamment auprès de ceux qui ont le plus besoin d'accompagnement pour monter des dossiers européens. »

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Vous êtes administrateurs du RTES. Quelles sont vos attentes vis-à-vis de notre réseau ?

Jeanne Barseghian : « Notre attente porte principalement sur les échanges avec d'autres territoires, l'inspiration qui en découle, et sur le fait d'être membre d'un réseau qui peut peser aussi bien au niveau national qu'européen pour porter la voix de nos territoires et de l'ESS. Le RTES est très complémentaire d'autres réseaux représentant plus spécifiquement les acteurs de l'ESS. »

Pierre Roth : « Le RTES est un réseau de territoires de toute taille, qui est très important pour les élu.e.s que nous sommes, en terme de transfert d'expériences, d'échange et de portage politique commun sur des sujets essentiels pour l'avenir. Je suis ravi de pouvoir représenter Jeanne Barseghian au Conseil d'administration du RTES ! ».

Découvrez la vidéo de Pierre Roth sur la mise en place d'une politique de transition sur le territoire :