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Article de la Gazette des Communes : "L’ESS ne sait plus à quelle collectivité se vouer"
Publié le 12 juillet 2023 - mis à jour le 27 juillet 2023

Article de la Gazette des Communes : "L’ESS ne sait plus à quelle collectivité se vouer"

Découvre ci-dessous l'article de la Gazette des Communes réalisé par Eric Larpin : "L’ESS ne sait plus à quelle collectivité se vouer"

Dans le cadre de cette article, retrouvez les témoignages des élu.e.s de collectivités adhérentes du RTES.

Mandaté par le gouvernement, le Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire (ESS) vient de rendre son rapport sur l’évaluation de la loi de 2014. En proposant de redonner la main sur l’ESS à toutes les collectivités pour un vrai changement d’échelle, il crée le débat.

La loi « Hamon » de 2014 devait donner un nouvel élan à l’ESS, en la dotant d’outils innovants et en sécurisant les acteurs historiques, comme les coopératives et les associations. Presque dix ans plus tard, le nombre d’entreprises du secteur n’a guère augmenté (autour de 10 % des emplois en France). Malgré les promesses d’un modèle économique plus collectif et plus résilient, le changement d’échelle n’est pas encore en vue.

Pour analyser les freins qui persistent, le secrétariat d’Etat chargé de l’ESS a demandé, en novembre dernier, un rapport au Conseil supérieur de l’ESS, qui a rendu son avis fin juin. Avis qui confirme le rôle essentiel des collectivités locales pour booster le secteur et plaide en faveur d’une loi de programmation afin d’amplifier les aides publiques au secteur.

Monnaies complémentaires

« La loi “Hamon” a été la première à rendre l’ESS visible, alors que ce type d’entreprises étaient présentes depuis longtemps dans les territoires, souligne ­Emeline ­Baume, vice-présidente [EELV] chargée de l’économie à la métropole de Lyon. Elle a inscrit dans le marbre des instruments dont les collectivités commençaient à s’emparer : Scic, pôle territorial de coopération économique, clauses sociales. » Elus et agents ont été obligés de regarder de plus près cette ­nouvelle politique publique.

A Lyon, après les dernières municipales, un millier d’agents ont été formés aux spécificités des soutiens au secteur et à leur dissémination dans l’ensemble des politiques métropolitaines. Cela a ainsi permis d’acculturer la collectivité aux outils hybrides que sont les Scic, dans lesquels les collectivités peuvent prendre des parts sociales, tout en passant des marchés avec elles. D’autres instruments ont été mis en lumière, comme les circuits courts ou les monnaies locales. Par exemple, Emeline ­Baume perçoit une partie de ses indemnités en gonettes, la monnaie complémentaire de Lyon.

Selon ­Antoine ­Dubois, vice-président (SE) chargé de l’ESS à l’eurométropole de ­Strasbourg, la loi de 2014 a entériné des initiatives qui existaient et leurs méthodes : « La coconstruction prônée par la loi est dans notre ADN à ­Strasbourg. Mon prédécesseur avait initié la création d’un conseil de l’ESS, où élus, techniciens et réseaux continuent de se rencontrer pour orienter la politique “ESS”. » De même, les clauses dans la commande publique, opérées bien avant la loi en ­Alsace, sont construites en partenariat avec les entreprises afin que les marchés aboutissent.

Antoine ­Dubois et ses collègues du RTES estiment que l’ESS constitue une économie de proximité et l’interco un échelon pertinent pour la faire évoluer par le biais de la compétence « développement économique ». Ce qui n’est plus le cas des villes. Mais cela n’empêche pas certaines d’entre elles de s’impliquer ­fortement. « C’est même grâce à la loi “ESS” qu’un poste d’adjoint chargé de l’ESS a été créé, parce que cela devenait une politique publique », sourit ­Julien ­Ravello, conseiller municipal (LFI) chargé de l’ESS de ­Villeurbanne (métropole de Lyon).

Millefeuille territorial

Plus grande ville de banlieue de France, ­Villeurbanne a toujours voulu faire du développement économique avec une forte coloration « ESS ». « La loi “Notre” nous permet d’effectuer de la promotion pour le secteur, du soutien aux réseaux de création d’entreprise, de l’aide à l’installation, complète ­Mathieu ­Fortin, référent “ESS”. Nous pouvons aussi mettre de l’ESS dans nos missions, comme lors de la création d’un pôle “petite enfance” avec une association et une coopérative. » La politique de l’ESS est formalisée dans une stratégie territoriale dédiée et un futur schéma de promotion des achats socialement et ­écologiquement responsables.

Si la loi « Hamon » a bien défini les régions en tant que cheffes de file du support à l’ESS, dès l’année suivante, la loi « Notre » a chamboulé l’architecture en créant des grandes régions et en privant les départements de la compétence générale. Ce bouleversement administratif a contribué à freiner le développement du secteur, en retardant la tenue des conférences régionales et l’écriture des schémas régionaux, prévues par la loi.

Et du côté des villes et des départements, il a fallu faire preuve d’imagination afin de continuer à aider la filière. Quelques irréductibles, comme l’Ille-et-Vilaine, n’ont pas baissé les bras. « Nous savons que l’ESS est une mission non obligatoire, mais on la soutient parce qu’elle est transversale à nos compétences : petite enfance, mobilités et insertion, affirme ­Emmanuelle ­Rousset, vice-présidente [PS] chargée de l’ESS et de la transition écologique. On a changé d’ambition sur l’ESS, mais on s’en sert tel un outil d’ingénierie pour toutes les politiques locales. » L’Ille-et-Vilaine a même conservé une petite équipe dédiée et une feuille de route. Mais seule une poignée de départements poursuit cette politique.

Soutien à géométrie variable

Les régions sont censées être les poids lourds du soutien à l’ESS, quand elles veulent bien appliquer leurs politiques publiques… Certaines, comme Auvergne – Rhône-Alpes, ne lui réservent qu’une portion congrue, ce que déplorent les autres échelons de collectivité.

Au contraire, la Nouvelle-Aquitaine a profité de l’accroissement de son périmètre pour augmenter son appui : 9 millions de budget, un service de quinze agents et la capacité de mobiliser 30 millions supplémentaires en direction de l’ESS dans les autres services (performance industrielle, alimentation et transports).

« Nous avons décidé de travailler avec l’ensemble des collectivités qui le souhaitent, précise ­Maud ­Caruhel, vice-présidente [PS] déléguée à l’ESS et à l’économie circulaire. Nous proposons, ainsi, de signer des feuilles de route avec les départements volontaires, pour aider au plus proche des besoins [financements, locaux, rapprochement des acteurs…]. Nous avons aussi une feuille de route avec Bordeaux métropole concernant des projets de grande ampleur. » Pour ­Maud ­Caruhel, l’un des avantages de la loi « ESS » consiste à faire confiance aux collectivités pour expérimenter dans ­l’innovation sociale.

C’est également cet équilibre entre collectivités que Régions de France souhaite ne pas bous­culer. « Selon nous, c’est un atout pour l’ESS que d’avoir les régions en leaders concernant les aides directes aux entreprises, explique ­Lynda ­Lahalle, conseillère régionale [Centristes] chargée de l’ESS de la région ­Normandie. Nous sommes donc contre la proposition du Conseil supérieur à l’ESS de redonner cette compétence aux départements. La loi a poussé les régions à traiter d’ESS. D’après notre propre inventaire, toutes sans exception supportent le secteur. C’est pourquoi nous demandons une mission approfondie sur l’action des régions avant d’envisager une modification de la loi. »

Ces débats sur l’évaluation de la loi de 2014 ont l’avantage de confirmer que tous les échelons de collectivité ont envie de continuer à soutenir ­l’économie sociale et solidaire !

FOCUS

Pourquoi évaluer la loi de 2014 ?

En novembre dernier, la secrétaire d’Etat chargée de l’ESS et de la vie associative, ­Marlène ­Schiappa, a lancé une évaluation de la loi du 31 juillet 2014 sur l’ESS et mandaté, pour cela, le Conseil supérieur de l’ESS. Un groupe de travail associant les principaux réseaux a été constitué en son sein ; il est présidé par ­Frédéric ­Tiberghien, lui-même président de l’association Fair. Pour les collectivités locales, le RTES, représentant historique des collectivités impliquées dans l’ESS, a participé aux travaux. Cependant, tel n’a pas été le cas des autres réseaux de collectivités. Fin juin, le groupe de travail a rendu un avis et des propositions pour ­améliorer le texte.

Alors qu’approchent les dix ans de la loi « ESS », l’idée d’une nouvelle mouture est tentante pour le gouvernement, mais le format pourrait aussi être celui d’une loi de programmation. L’ensemble des réseaux semblent s’accorder pour respecter l’esprit de la loi de 2014, tout en regrettant le manque de moyens voués à son développement.

Retrouvez l'interview de Frédéric Tiberghien dans la Gazette des communes, publiée le 19.07.2023

FOCUS

Questions à…

Mahel Coppey Mahel Coppey, présidente du RTES

L’évaluation de la loi « ESS » est-elle importante pour les collectivités ?

Oui, parce que la loi a été une étape majeure pour la reconnaissance de l’ESS dans les politiques publiques, au niveau local et national. Elle a permis de définir le périmètre des entreprises du secteur et de structurer l’écosystème. Les articles définissant l’innovation sociale, les sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic), les pôles territoriaux de coopération économique… sont en particulier des points d’appui significatifs pour les politiques locales.

Quels sont les axes à améliorer ?

Certains apports de la loi demeurent méconnus ou peu utilisés. Diverses difficultés identifiées sont liées à la capacité des collectivités autres que les régions de soutenir les structures de l’ESS. Comment également prendre en compte le fait que les entreprises de l’ESS n’ont pas seulement une finalité économique, mais aussi sociale et/ou environnementale, et que leurs actions croisent les compétences de toutes les collectivités ?

Qu’attendez-vous de l’avis du Conseil supérieur de l’ESS ?

La qualité de cet avis et son exhaustivité constituent sans aucun doute une base extrêmement précieuse pour le travail parlementaire à venir. Il doit permettre de renforcer la place de l’ESS, par exemple dans le plan France 2030, et favoriser l’adoption d’une loi de ­programmation sur l’ESS.

De nombreux chantiers sont ouverts pour les prochains mois, auxquels le RTES contribuera en portant des propositions, concernant plus particulièrement les collectivités:  notamment sur les Scic, la commande publique ou l’accès au foncier s’agissant des acteurs de l’ESS et, bien sûr,  la sécurisation des ­interventions des différents niveaux de collectivités.