Réseau des collectivités Territoriales pour une Économie Sociale et Solidaire

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Publié le 30 avril 2025 - mis à jour le 21 mai 2025

Tribune - La présence de l'ESS à la Commission européenne en danger

A l'initiative de Social Economy Europe, une tribune parue le 30/04/2025 et signée par plus de 200 représentant.e.s d'organisations dont Mahel Coppey, présidente du RTES, interpelle la Commission européenne suite à l'annonce de la suppression de l'unité économie sociale à la DG GROW, l'une des directions générales de la Commission européenne.

Il y a un mois, la Direction Générale du Marché Intérieur, de l'Industrie, de l'Entrepreneuriat et des PME (DG GROW) a annoncé la suppression de l’unité en charge de l’économie sociale et solidaire (ESS) à compter du 1er mai 2025. En parallèle, l’appel à projets COSME dédié à l’ESS ainsi que les appels d'offres liés à la ligne budgétaire « Économie sociale et de proximité » ont été annulés.

Face à cette décision, qui tourne le dos à des années d’efforts et de reconnaissance institutionnelle, les acteurs de l'ESS tirent la sonnette d’alarme. Ils appellent la Commission européenne, et en particulier le Commissaire Stéphane Séjourné, à maintenir une présence institutionnelle forte de l’économie sociale et solidaire au sein des services européens.

Vous trouverez à ce lien la tribune (en anglais) avec l'appel à signature et la liste des premiers signataires. 

Retrouvez ci-dessous une version française de la tribune :

La Direction générale du marché intérieur, de l'industrie, de l'entrepreneuriat et des PME (DG GROW) est depuis longtemps un pilier du soutien à l'économie sociale t solidaire (ESS), favorisant l'innovation, la durabilité et la croissance inclusive. L'annonce récente selon laquelle la DG GROW renoncera à partir du 1er mai 2025 à son engagement direct en faveur de l'ESS arrive à un moment critique. Elle aura des conséquences considérables, sapant les progrès accomplis et bloquant les avancées futures dans cet écosystème crucial. Et surtout, cette décision met à mal les politiques économiques basées sur les personnes et les besoins locaux.

Le paysage géopolitique est bouleversé, l'économie et le mode de vie de l'UE sont menacés par la transformation des normes commerciales internationales, les pressions inflationnistes, la guerre à nos frontières et les menaces qui pèsent sur notre démocratie. La réponse de la nouvelle Commission est de se concentrer sur la compétitivité et la défense, ce qui est bien sûr nécessaire, mais néglige la contribution du seul modèle éprouvé pour soutenir l'économie en temps de crise : l'économie sociale et solidaire. La stratégie du commissaire Séjourné consiste à se concentrer sur notre économie d'exportation alors qu'elle devrait s'appuyer sur une ESS solide qui soutient à la fois l'activité économique et le bien-être des citoyens, des territoires et de la planète. C'est le moment de renforcer l'ESS et les politiques économiques en vue d'une Europe prospère. Le 1er mai, l'unité responsable de l'économie sociale et de l'entrepreneuriat social de la DG GROW sera dissoute. Le démantèlement de cette unité entraînera la perte des connaissances institutionnelles accumulées au cours de la dernière décennie. De manière tout aussi alarmante, certains fonds soutenant les acteurs de l'ESS (COSME) ont été soudainement annulés ces derniers jours, ce qui a suscité de vives inquiétudes pour l'écosystème.

Cette décision n'a aucun sens ni économique ni administratif. D'un point de vue économique, l'écosystème de l'ESS est important, au même titre que le secteur automobile : l'ESS compte plus de 4 millions d'entreprises et d'organisations qui emploient directement plus de 11 millions de personnes et, en 2021, son chiffre d'affaires s'élevait à près de 1 000 milliards d'euros (soit plus que le PIB de la Suisse l'année dernière).

L'ESS ne se résume pas à cela : elle intègre de manière unique des objectifs économiques, sociaux et environnementaux. Elle donne la priorité aux objectifs sociaux sur le profit, réinvestit les bénéfices dans les objectifs sociaux et fonctionne avec une gouvernance démocratique. Il s'agit d'une économie au service des personnes et de la planète.

L'OCDE, l'ONU, l'OIT et la Commission européenne ont reconnu la contribution de l'économie sociale et solidaire à la croissance inclusive, à la cohésion, à la durabilité, à l'innovation et à la démocratie.  Fin 2023, les 27 États membres ont convenu de « prendre des mesures pour reconnaître et soutenir le rôle de l'économie sociale », notamment en intégrant l'ESS dans la politique industrielle nationale. L'ESS soutient les objectifs de l'UE tels que les chaînes de valeur locales, les emplois de qualité et la transition vers une industrie propre. Portée par des entreprises enracinées localement, l'ESS répond aux besoins des populations tout en exportant à l'échelle mondiale. Sa gouvernance démocratique inclut les travailleurs, les consommateurs et les citoyens, réduisant ainsi les risques de « délocalisation » et d'acquisition meurtrière. Ces caractéristiques font de l'ESS un élément clé de la stratégie « Made in EU ».

Les entreprises de l'ESS sont présentes partout, des capitales aux zones rurales (qui représentent 45 % du territoire de l'UE et 21 % de la population). Elles proposent des entreprises ultra-compétitives ainsi que des services essentiels dans les zones mal desservies qui permettent aux communautés de prospérer. Des petites entités aux grands groupes, l'ESS apporte des solutions uniques à la crise de l'énergie et à la crise du logement, et donne aux personnes et aux entreprises les moyens d'agir grâce à des solutions numériques. Elle est le moteur de la stratégie durable de l'Europe de la ferme à la table.  Nous sommes votre mutuelle de santé, votre club de sport, votre partenaire financier éthique, votre centre culturel local, nous prenons soin de vos bébés et de vos personnes âgées, nous sommes actifs dans les activités industrielles et dans l'économie circulaire, nous fournissons des emplois à tous, y compris aux personnes handicapées.

En outre, l'ESS est un pilier de la démocratie, grâce aux organisations de la société civile et à sa gouvernance démocratique qui défend les valeurs européennes de dignité, de liberté, d'égalité et de droits de l'homme. L'ESS construit une Europe résiliente, juste et inclusive.

Pour être juste, la Commission européenne n'a pas totalement écarté l'ESS : grâce à un plaidoyer puissant, combiné à son leadership et à sa vision, la commissaire Roxana Mînzatu a été mandatée par la présidente von der Leyen pour soutenir l'ESS. Elle a accepté ce rôle avec enthousiasme et s'est engagée à promouvoir et à mettre en œuvre le plan d'action pour l'économie sociale adopté en 2021 et qui s'étendra jusqu'en 2030. Cette initiative a été soutenue par les précédents commissaires chargés des affaires sociales et du marché intérieur, qui ont compris que l'ESS reposait sur deux piliers : le social et l'économique. Cela s'est traduit par une coopération intense et fructueuse entre la DG GROW et la DG EMPL afin de poursuivre le déploiement de l'ESS dans leurs activités et politiques respectives. Séparer la dimension économique et industrielle de sa mission sociale affaiblit l'impact de l'ESS qui joue un rôle essentiel dans l'avancement de l'autonomie industrielle, de la compétitivité et de la résilience territoriale.

Le démantèlement de l'unité ESS au sein de la DG GROW est une erreur majeure, car plus personne ne s'occupera de superviser les initiatives et politiques du Marché unique qui impactent l'ESS. Non seulement cela affaiblit la compréhension de l'ESS, mais cela empêche une approche cohérente de l'économie sociale et solidaire dans les politiques économiques, et cela mettra fin aux initiatives de la DG GROW visant à permettre aux entreprises de l'ESS d'accéder aux marchés et aux aides sur un pied d'égalité avec le secteur privé à but lucratif. Cette réduction se traduira par une diminution des ressources humaines et financières et de l'expertise pour les entreprises de l'ESS au sein de la Commission. De fait, des financements importants pour les entreprises européennes (appels COSME) ont été brusquement interrompus la semaine dernière, sans aucune explication.

Ceci intervient à un moment où le monde est en pleine mutation. L'économie sociale s'est montrée résistante lors de toutes les crises récentes (2008 et COVID-19) et constitue une source avérée de résilience pour les communautés locales. Son exclusion de la politique économique et industrielle de la Commission européenne à ce moment critique est incompréhensible. Le rapport Letta sur le marché unique a reconnu que l'UE est plus qu'un marché. Les problèmes auxquels nous sommes confrontés ne peuvent être résolus si les pratiques économiques sont dissociées des considérations sociales. Nous avons besoin de politiques économiques qui intègrent les dimensions sociales et environnementales, ce qui suppose de soutenir une économie qui intègre ces aspects dès sa conception.

A ce stade avancé, nous ne nous attendons pas à ce que le Commissaire Séjourné revienne sur sa décision. Nous regrettons que le groupe d'experts de la Commission sur l'économie sociale (GECES) ait été simplement informé que la DG GROW ne participerait plus au groupe d'experts. Cependant, nous demandons à la Commission de s'assurer que l'ESS continue d'être présente au sein de la DG GROW. Idéalement, en conservant une équipe responsable de l'ESS, au minimum en désignant des hauts fonctionnaires de la Commission responsables de l'écosystème de l'ESS, des experts qui superviseraient toutes les initiatives et politiques industrielles ayant un impact sur l'ESS et qui assureraient la coordination avec le pilier social de l'ESS (au sein de la DG EMPL). Cela nécessite également une allocation budgétaire appropriée, et certainement pas une réduction. L'écosystème de l'ESS attend un dialogue constructif et des réponses tangibles, nous souhaitons être reconnus comme des alliés qui aident à relever les défis de l'UE.