Réseau des collectivités Territoriales pour une Économie Solidaire

Publié le 7 juin 2017

Uniterres : Coopérer en circuits courts entre épiceries solidaires et agriculteurs fragilisés.

Uniterres est un programme porté depuis 2011 par l'Association Nationale de Développement des Epiceries Solidaires – ANDES. Il vise à mettre en place une coopération en circuits courts entre des épiceries solidaires et des agriculteurs locaux en difficulté. Entretien avec Véronique Blanchot, fondatrice et responsable du programme Uniterres. Une table-ronde de la 6ème Rencontre nationale des collectivités locales autour de l'ESS le 30 juin prochain à Paris abordera les politiques publiques de soutien à une alimentation durable et solidaire.

Pouvez-vous nous présenter le programme Uniterres ?

Uniterres repose sur un double constat :

-Premièrement, le manque d'approvisionnement en produits frais dans les épiceries solidaires, en terme de régularité, de qualité et de diversité des produits proposés. En lien avec la lutte contre le gaspillage, ce sont souvent des produits assez abimés ou des palettes entières d'un seul produit qui sont récupérés auprès de grandes surfaces ou producteurs. Et en lien avec ce constat, la sous-consommation de fruits et légumes frais par les personnes bénéficiaires de l'aide alimentaire.

-Deuxièmement, les difficultés économiques rencontrées par de nombreux agriculteurs, qui ont besoin de temps et de moyens pour pérenniser leur exploitation.

Uniterres vise donc à faire face à ce double constat, en faisant de deux faiblesses, une force, grâce au soutien financier des pouvoirs publics partenaires. Par le biais d'un dispositif de précommande, les producteurs locaux sécurisent leur revenu et sont rémunérés à un juste prix.

Les bénéficiaires d'épiceries solidaires quant à eux redécouvrent de bons produits frais variés, de qualité et de saison, qu'ils achètent à un prix équivalent de 10 % à 30 % de la valeur marchande des produits. Le programme inclut des actions participatives telles que des ateliers de cuisine ou des visites chez les agriculteurs partenaires. Plutôt que d'imposer des choix alimentaires et de donner des produits, ces actions participatives et le fait que les bénéficiaires achètent les produits, participent à leur dignité et favorisent l'évolution de leurs comportements alimentaires. Et en mangeant ces produits, ils sont eux aussi solidaires de personnes en difficulté.

Pour mettre en coopération en circuits courts agriculteurs et épiceries solidaires, il fallait régler le problème de la logistique. Les petits producteurs fragilisés n'ont pas le temps ou les moyens de livrer leurs produits dans des épiceries solidaires, et de l'autre côté les épiceries solidaires ont elles aussi peu de moyens et fonctionnent grâce à des engagements bénévoles. Elles n'ont donc pas la possibilité d'aller chercher les produits auprès des producteurs.

Uniterres est donc également un programme d'insertion, qui embauche une vingtaine de personnes de plus de 50 ans en recherche d'emploi ou au RSA, qui sont issus du monde agricole, de la restauration ou qui connaissent bien les produits et la réalité des agriculteurs.

Dès le départ, le programme a été suivi dans le cadre d'une recherche-action. Cette évaluation nous a permis de nous rendre très vite compte qu'il y avait un vide dans notre dispositif : l'accompagnement des agriculteurs fragilisés, de la même manière qu'il existe un accompagnement par des travailleurs sociaux des bénéficiaires de l'aide alimentaire. Les agriculteurs en difficulté subissent une double peine en étant fragilisés économiquement mais aussi isolés géographiquement et socialement, d'où le taux de suicide très élevé dans cette profession. Le souci pour la MSA, qui suit ces agriculteurs, c'est qu'elle est à la fois celle qui vient les aider et celle qui leur réclame de l'argent, pour payer leur sécurité sociale. De même, les chambres d'agriculture n'offrent souvent que des conseils payants ou non adaptés au maraîchage, tandis que les banques restent très frileuses, sans garantie de remboursement, de porter un investissement qui apporterait la possibilité aux agriculteurs de se développer. Notre personnel en insertion en charge de la logistique a donc aussi une fonction de coordinateur agricole qui accompagne les agriculteurs et qui prend du temps pour discuter avec eux sur leurs problèmes dans leur globalité : social, technique, économique. Sur une durée de 3 ans, notre programme permet aux agriculteurs en difficulté de rebondir.

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A ce jour, le programme concerne 83 épiceries solidaires, 203 agriculteurs (plus d'une cinquantaine sont déjà sortis du dispositif, étant désormais en meilleure santé financière) et permet de nourrir 30 000 personnes par an via l'aide alimentaire des épiceries solidaires.

Tandis que le programme Uniterres est majoritairement financé par des subventions qui peuvent être amenées à baisser dans le contexte actuel, nos livraisons de produits de qualité aux épiceries solidaires ont commencé à intéresser des restaurateurs mais aussi des maires, certaines épiceries solidaires étant portées par des CCAS. Ces élus municipaux ont donc également souhaité que ces produits de qualité soient livrés dans des cantines scolaires, des crèches, des centres de formation ou pour des portages de repas à domicile ou en maison de retraite.

Face à cette demande nouvelle, et dans l'objectif de pérenniser notre modèle économique, nous avons donc lancé « Uniterres équitable ». Nous livrons aujourd'hui 5 à 6 cantines et une quinzaine de restaurants.

Comment sont choisis les agriculteurs partenaires d'Uniterres ? Avez-vous une réflexion sur la problématique de l'accès au foncier agricole ?

Il y a beaucoup d'entrées possibles. Les agriculteurs fragilisés nous sont orientés soit par les Chambres d'agriculture, par la MSA, par Solidarité Paysans, l'ADEAR, les CIVAM, GAB...mais aussi par les épiceries solidaires et par les agriculteurs qui se connaissent entre eux, par les coordinateurs qui font des tournées.

Nous sommes moins concernés par la problématique du foncier, car nous travaillons en aval de cette problématique avec des agriculteurs déjà installés, dans des zones rurales très isolées où la question du foncier est moins prégnante qu'en milieu péri-urbain. Le problème est plus lié à l'absence de relève quand certains agriculteurs partent en retraite, ou bien au manque de formation adéquate pour les agriculteurs néo-ruraux dont la reconversion est parfois difficile. Mais nous travaillons en partenariat avec Terre de Liens et des collectivités locales, qui mettent à disposition des terres via des couveuses.

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Quels soutiens vous apportent les collectivités locales et comment les politiques publiques peuvent favoriser ce type d'expérience ?

L'expérimentation du programme Uniterres a démarré en Poitou-Charentes et Aquitaine) en 2012 puis s'est développé en Occitanie, en Bretagne et dans les Pays de la Loire avec le soutien financier de l'Etat (DGCS et DRAAF), des agences régionales de santé, de Conseils régionaux et Conseils départementaux, mais aussi de Communautés d'agglomérations comme le Grand Poitiers, de la MSA, du Fonds Français Alimentation et Santé, et des fondations tel que la Macif, la fondation Daniel et Nina Carasso, AVRIL, la fondation Carrefour...

Bien qu’Uniterres ait été retenu par notre ancien Présidence de la République comme lauréat de La France s'Engage et primé par le Conseil Economique et Social Européen pour la Lutte contre la Pauvreté, en 2015, il a besoin d’être aujourd’hui encore soutenu par des subventions publiques et privées. En effet, si l’achat des denrées auprès des producteurs est couvert par les fonds du CNES (Crédit National aux Epiceries Sociales, émanant du Ministère de la cohésion sociale), le financement de tous les aspects logistiques, indispensables au fonctionnement du programme, à l’inclusion des personnels nécessaires, doit être trouvé année après année.

Les épiceries solidaires à elles seules ne pourraient pas payer un juste prix aux producteurs et notre dispositif de précommande suppose de faire des avances aux agriculteurs fragilisés.

Au delà du soutien financier, les collectivités locales participent aux comités de pilotage, nous échangeons des statistiques, fournissons des informations et certains conseils départementaux comme la Gironde, nous orientent des agriculteurs fragilisés.

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Je note cependant une contradiction dans la période actuelle de baisse des subventions. Les pouvoirs publics, dans un souci de santé publique, souhaitent légitimement améliorer l'alimentation des personnes démunies, mais nous demandent dans le même temps de faire de plus en plus « du tonnage », et donc de privilégier la quantité, à la qualité et variété des produits proposés.

Contact : Véronique Blanchot, fondatrice et responsable du programme Uniterres - veronique.blanchot@andes-france.com.