Réseau des collectivités Territoriales pour une Économie Solidaire

Cyrille Moreau Rouen
Publié le 6 mars 2018 - mis à jour le 11 avril 2019

« La transition écologique est une opportunité extraordinaire pour l’ESS » - Entretien avec Cyrille Moreau

Cyrille Moreau est vice-président de la Métropole Rouen Normandie, en charge de l’environnement, l'énergie, l’agriculture péri-urbaine, la biodiversité et l’économie sociale et solidaire. Il revient pour nous sur sa vision de l'ESS et le rôle possible d'une métropole dans son développement, et nous présente la démarche de "COP 21 locale" sur la métropole rouennaise.

Quel est votre parcours d'élu et qu'est ce qui vous a amené à prendre en charge cette large délégation ?

Avant de devenir vice-président à cette large délégation, j'ai été attaché territorial en charge de l'ESS puis membre du cabinet d'un président de région, et enfin vice-président à l'environnement de la métropole rouennaise.

Rattacher l'ESS à ma délégation à l'environnement faisait sens, car je me suis rendu compte dans mon expérience professionnelle passée, que beaucoup de projets d'ESS en région Normandie portaient sur l'agriculture, la protection de l'environnement, la mobilité...il était donc judicieux de croiser les thématiques, de travailler en transversalité.

Quelle est votre vision de l'ESS et du rôle possible d'une métropole dans son développement ?

Après plusieurs années passées à côtoyer le secteur de l'ESS, je suis frustré de constater un décalage entre l'affichage de chiffres impressionnants (en poids économique, en nombre d'emplois), et la réalité du terrain, de constater également les difficultés à s'adapter à l'évolution de notre société qui bouge très vite.

Je constate qu'on passe énormément de temps à construire de magnifiques prototypes, avec des moutons à cinq pattes que l'on n'arrive jamais à dupliquer. Il faut pourtant qu'on réussisse à changer d'échelle, à créer des modèles de série, à se crédibiliser, si l'on veut que les chiffres impressionnants de l'ESS fassent réellement sens.

En tant que métropole, nous essayons d'agir sur les points de blocages au changement d'échelle, pour que nos politiques ne soient pas simplement des politiques de vitrine. Nous mobilisons nos moyens financiers et d'ingénierie pour identifier et agir sur ces points de blocages, dans tous les domaines. Par exemple, dans l'agriculture, nous agissons sur la problématique de l'accès au foncier des porteurs de projets via notre politique de gestion de l'eau ; dans l'énergie, nous essayons d'agir sur les blocages administratifs du gestionnaire des réseaux Enedis lorsque des citoyens décident de se réunir pour produire de l'énergie renouvelable localement.

Concernant le soutien aux acteurs de l'ESS, nous développons bien sûr une politique classique de soutien en ingénierie à l'ESS, via des clauses sociales dans nos marchés publics, un soutien aux structures de l'IAE,…Nous avons mis en place une aide dédiée à l'immobilier pour la location ou l'acquisition et nous intervenons également sous forme d'appels à projets dans le cadre du règlement d'aide européen « de minimis » (<200 k€ sur trois ans) en création ou développement. Pour autant, le soutien de projets d'ESS ne se fait pas via l'entrée ESS mais principalement selon la thématique du projet : dans l'énergie, l'agriculture, la mobilité, l'économie circulaire…

Certains acteurs de l'ESS ont tendance à avoir des discours très militants « on rend service à la société, on doit donc avoir un soutien public » . Aujourd’hui, ce discours entre en contradiction avec le carcan financier imposé par l’État aux collectivités territoriales, (plafonnant par exemple l’augmentation des dépenses de fonctionnement à 1,2 %) mais aussi aux acteurs de l'ESS (par exemple avec la forte diminution des emplois aidés). Cela nous oblige à innover. Les acteurs de l'ESS ont besoin d'hybridation économique pour survivre et nous essayons donc de favoriser la création d'écosystèmes d'acteurs.

Par exemple, dans le secteur du vélo, nous incitons, par le biais d'un appel à projets « mobilité » notamment, la diversité des acteurs (association militante, chantier d'insertion pour la réparation de vélo, SCOP de réparation/revente de vélos …) à travailler main dans la main, à monter des projets ensemble, à créer des solidarités financières entre eux, à mutualiser des locaux…(Retrouvez notre article "zoom sur" la coopérative Cycles Pierre & Simon).

Néanmoins, nous avons parfois des difficultés à mettre en place ces écosystèmes, car nous avons du mal à toucher l'ensemble des acteurs. On note une tendance de certains porteurs de projets à développer leurs propres schémas de développement, sans s'intéresser aux institutions publiques, sans s'inscrire dans les politiques publiques locales. Par exemple, dans le domaine agricole, nous essayons de monter un projet alimentaire territorial (PAT), un écosystème d'acteurs du champ à l'assiette, et on s'aperçoit que certaines structures se lancent seules, en autofinancement ou via du crowdfunding, développent leurs propres chaines d'approvisionnement sans lien avec les acteurs institutionnels. Nous avons donc engagé depuis décembre 2017, une « COP 21 locale », dans l'objectif de mobiliser l'ensemble des acteurs du territoire, de faire se rencontrer autour d'un engagement commun pour le climat des acteurs qui ne se connaissent pas.

Pouvez-vous nous présenter plus en détails cette démarche de COP 21 locale ?

En parallèle de ce constat sur la difficulté de nos politiques publiques à toucher l'ensemble des acteurs du territoire et à percer le plafond de verre du changement d'échelle, on s'aperçoit également que nous n’arrivons pas à atteindre nos objectifs environnementaux dans le cadre de notre PCAET, en termes d'économie d'énergie, de maintien de la biodiversité, de mobilité durable, …

Par ailleurs, l'histoire territoriale rouennaise est marquée par un tissu économique industriel important, une culture salariale plutôt qu'entrepreneuriale qui structure les mentalités et qui rend difficile l'émergence de projets sur le territoire. D'ailleurs, de nombreux projets d'ESS du territoire ne viennent pas de rouennais d'origine, mais de personnes venues d'ailleurs, qui arrivent à dépasser les réticences culturelles à la coopération sur notre territoire.

Plutôt qu'adopter un PCAET aux objectifs très ambitieux dont personne n'ira vérifier s'ils sont bien tenus, nous avons souhaité avec cette démarche de COP 21 locale insufler une dynamique positive, pour apprendre aux acteurs du territoire à travailler ensemble, dans la transversalité autour d'un enjeu commun.

La mise en place de cette COP 21 locale a nécessité une grande campagne de communication, avec la création d'un lieu physique « l'Atelier de la COP 21 », un site internet dédié www.notrecop21.fr, des réunions publiques, le recrutement d'ambassadeurs de la COP 21 qui essaient de mobiliser les acteurs du territoire.

L’atelier de la COP21.jpg

Nous avons été surpris de voir que notre démarche de COP 21 locale est appréciée toute tendance politique confondue,qu'elle mobilise les citoyens et fait se rencontrer des acteurs très divers. Ça imprègne les mentalités et ça donne envie d'agir car on agit tous ensemble et non pas chacun de son côté. Cela a des effets concrets et des projets collectifs naissent, par exemple des bailleurs sociaux ou des entreprises veulent transformer leurs espaces verts en micro-fermes.

Certains grands groupes ont tendance à prendre la main sur les questions écologiques, par exemple sur la rénovation de l'habitat, ils prennent le contrôle en faisant le diagnostic, le suivi des travaux, le financement, etc.., mais du coup les citoyens ne savent pas s'ils payent le bon prix, si les travaux sont bien réalisés…On a besoin de l'investissement de l'ensemble des acteurs économiques dont les grands groupes, mais ces grands groupes seuls ne travaillent pas dans l'intérêt général, ni techniquement ni financièrement ; on a donc besoin de mobilisation citoyenne et de petites structures pour porter également des projets. Nous serions incapables d'atteindre nos objectifs environnementaux avec les seuls outils des collectivités ou via les seuls grands groupes privés, on ne ferait que du greenwashing.

Nous avons donc réellement besoin de l'ESS pour l'atteinte de nos objectifs environnementaux et c'est un moyen pour ses acteurs de sortir de leur dépendance aux financements publics. La transition écologique est une opportunité extraordinaire pour l'ESS.

Quelles sont vos attentes vis-à-vis du RTES ?

Mes attentes font échos au besoin de changement d'échelle de l'ESS. Les élu-e-s en charge de l'ESS disposent le plus souvent de moyens limités. L'ESS n'est qu'une partie de la compétence « Développement économique » qui, dans les intercommunalités, n'est pas une compétence pleine et entière puisque ce sont les Régions qui se sont vu attribué l'essentiel de la compétence. Il en résulte qu'il est très difficile pour les équipes en charge de faire une veille à la fois institutionnelle et de projet. C'est d'autant plus handicapant que l'économie de façon générale et le champs du collaboratif en particulier bougent extrêmement vite avec le risque que les politiques publiques soient en complet décalage par rapport aux besoins et pratiques des entreprise de l'ESS (modalités de financement, problématiques de formation, formes juridiques, etc.).

L'intérêt du RTES et d'avoir suffisamment de recul pour effectuer cette veille pour les intercommunalités et contribuer au partage d'expérience.

Pièces jointes