Réseau des collectivités Territoriales pour une Économie Solidaire

Publié le 4 avril 2018

« À l’échelle d’une région, la monnaie devient un outil de développement économique local » - Entretien avec Lynda Lahalle 

Lynda Lahalle est conseillère déléguée à l'ESS au Conseil régional de Normandie. Elle revient pour nous sur les nouveaux dispositifs régionaux d'appui à l'ESS mis en place suite à l'adoption du SRDEEII et aux conférences régionales de l'ESS, ainsi que sur la phase de création de la monnaie normande complémentaire, le Rollon.

Quels sont les chantiers actuels de la Région Normandie en matière de soutien à l'ESS ? Comment ont-ils émergés ?

L'ESS est inscrite de manière transversale dans le SRDEEII (Schéma Régional de Développement Économique d'Entreprises, de l'Internationalisation et de l'Innovation) adopté fin 2016, elle y a toute sa place et elle est représentée au sein du développement économique. Ma délégation à l'ESS est sous la responsabilité de la première vice-présidente en charge du développement économique. L'ESS est trop souvent considérée « à part ». Pour nous, c'est une manière d'entreprendre autrement mais c'est bien de l'économie et pour la valoriser, nous avons souhaité la faire apparaître à tous les niveaux du SRDEEII.

Le premier bilan que l'on peut faire de la place de l'ESS dans le SRDEEII, ce sont les dispositifs concrets qui en découlent. Il y avait avant 7 dispositifs d'accompagnement pour les entreprises de l'ESS en Haute et Basse Normandie. Suite à la fusion des deux ex-régions, nous avons lancé un travail de co-construction avec les acteurs, en lien avec le CESER qui avait été saisi, mais aussi dans le cadre de la première conférence régionale de l'ESS en juin 2016. Nous avons analysé avec eux ce qui fonctionnait bien et moins bien, ainsi que leurs attentes. Il en est ressorti, pour l'ESS mais aussi pour l'économie plus globalement, un manque de lisibilité entre les différents dispositifs et le souhait d'avoir des dispositifs plus clairs à utiliser. Nous avons alors mis en place deux nouveaux dispositifs : Émergence ESS et Émergence Coopératives.

-Émergence ESS est un dispositif de soutien en subvention permettant d’accompagner les projets ESS à tous les stades de leur développement de façon simple et ouverte (phase initiative, création, développement /consolidation). L’enjeu est de créer un écosystème favorable à l’émergence et au développement de projets ESS sur le territoire normand. Le cofinancement d'une étude de faisabilité (en « phase initiative ») est plafonnée à 20 000 euros, tandis qu'en « phase création », l'aide est plafonnée à 40 000 euros par projet en investissement et à 30 000 euros en fonctionnement (dont des aides au recrutement ou au conseil). Plus d'informations sur le site du Conseil régional de Normandie.

-Émergence ESS Coopérative : un dispositif d'apport en fonds propres permettant le soutien régional à la création et à la reprise d'entreprises sous forme de SCOP ou de SCIC, avec des apports en fonds propres plafonnés à 5 000 euros par salarié-sociétaire et à 100 000 euros par SCOP/SCIC. Plus d'informations sur le site du Conseil régional de Normandie.

Aujourd'hui ces deux dispositifs représentent 149 dossiers instruits et 3,6 millions d'euros de subventions accordées pour différents projets, en incluant les subventions aux têtes de réseau comme la CRESS, l'ADRESS, l'ARDESS, l'URSCOP…

Nous allons organiser le 28 mai prochain à Caen notre 3ème conférence régionale de l'ESS, autour du thème du financement des entreprises de l'ESS. La Région Normandie est particulièrement exemplaire sur ces conférences, co-organisées avec l'État et la CRESS, et qui sont ouvertes à tous les acteurs, de l'ESS comme de l'économique classique. Nous avons pour volonté de favoriser l'interconnaissance entre acteurs, et les collectivités locales sont également associées. Elles interviennent en apportant des témoignages de ce qui se fait dans les territoires. L'objectif de ces conférences régionales est à la fois de faire un point d'étape sur la politique régionale, mais cela représente également une occasion de coopération entre acteurs, d'informer sur les dispositifs et de faire un zoom sur une thématique spécifique.

Mon objectif principal d'ici la fin de mon mandat, c'est que l'ESS soit autant valorisée que l'économie classique. Dans les dispositifs d'aide à la création d'entreprises, la CRESS a eu toute sa place à prendre au même titre que les Chambres consulaires. La mise en place de la monnaie régionale complémentaire a été l'occasion de rencontrer beaucoup de commerçants et d'artisans, et de se rendre compte que les à priori sur l'ESS sont encore prégnants. Si à la fin de mon mandat, je peux arriver dans une réunion avec des chefs d'entreprises et que l'on puisse parler d'ESS sans étonnement, ce sera formidable. Je le dis souvent, les chefs d'entreprises de l'ESS font face aux mêmes problématiques que les autres, mais avec une gouvernance et une facon d'appréhender leur activité qui est différente.

Pourquoi avoir souhaité mettre en place une monnaie complémentaire à l'échelle régionale ?

Ce projet a été initié par le président de Région, Hervé Morin, lors de la 1ere conférence régionale de l'ESS en juin 2016, dans un esprit de co-construction. Des comités de pilotage ont été créés dès juillet 2016 et jusqu'à la création de l'association pour la Monnaie Normande Citoyenne (AMNC) en novembre 2017 (pour plus d'informations, retrouvez notre interview de Gérard Heit, président de l'AMNC).

Ces comités de pilotage ont rassemblé la CRESS, l'ADEME, les acteurs économiques tels que la Jeune Chambre Économique, et les monnaies locales existantes (Agnel, Grain). Nous restons toujours ouverts à d'autres monnaies locales pour s'inspirer de leur retours d'expérience.

Les monnaies locales, lorsqu'elles sont portées par les citoyens restent sur un territoire limité, mais à l'échelle d'une région, la monnaie devient un outil de développement local au service des citoyens et du développement durable.

Le Rollon est un outil pour favoriser l'économie de proximité et la création de cette monnaie normande a du sens dans le cadre de la réunification de la Normandie. L'attachement des normand-e-s à leur territoire existe depuis longtemps, nous avons une communauté de destin et des savoirs-faires locaux à valoriser. Pour autant, cette monnaie régionale ne représente pas un repli sur soi, la Normandie reste une région monde, son nom est connu dans le monde entier, et ce n'est pas incompatible avec la valorisation de nos savoirs-faires locaux et notre volonté de maintenir sur le territoire la richesse créée, l'attractivité et l'emploi local.

En tant que collectivité adhérente au RTES, quelles sont vos attentes vis-à-vis de notre réseau ?

Nous avons tendance à avoir la tête dans le guidon avec nos différents projets et à être très présents sur le terrain. Le RTES nous apporte du coup une prise de recul et les publications du réseau sont un bon outil de veille de l'actualité de l'ESS.